REPAIRE

Jérôme Maillet & Macula Nigra

Automne 2019

Rennes / Nantes

REPAIRE
Dérives en terrains vagues

Au Printemps 2019, Jérôme Maillet (nantais) et Macula Nigra (Loïc Creff, rennais) se rencontrent à Nantes, par l’intermédiaire de l’équipe MIRA. Les deux artistes exposent déjà chacun leur pratique artistique à l’espace MIRA.
Ce premier rendez vous affirme tout de suite l’envie réciproque de s’engager dans une exposition à quatre mains à l’automne 2019, précédée d’un temps de résidence entre les villes de Nantes et de Rennes.

Le terrain vague est choisit comme sujet d’inspiration. Situé sous le pont de Cheviré à Nantes, un espace intermédiaire urbain, marque le début des déambulations des deux artistes. Nous organisons la visite de l’emblématique silo à grains de la Roche Maurice, leur offrant un point de vue privilégié sur le secteur.

Munis d’appareil photographique et de carnet à dessins, Loïc et Jérôme arpentent le secteur.
Ils errent le long de la Loire, des voies de chemins de fer, traversent des friches abandonnées pour y révéler la poétique de ces espèces d’espaces.

Les dessins sont produits sur place par Jérôme. Les prises de vue, les idées et notes d’intentions forment les premières matières.
Loïc fait des recherches aux Archives de la ville de Nantes, il sélectionne des photos du passé industriel nantais.

Les deux interprètes trouvent un langage artistique commun, et se rendent à Rennes pour la deuxième partie de la résidence.
Le « néo duo » choisit de produire les multiples à l’atelier rennais de sérigraphie Le marché noir, où travaille habituellement Loïc.

La restitution se compose de cyanotypes avec dorure, sérigraphie, dessins…
Les supports sélectionnés sont le bois, le papier et le carton.
Les oeuvres sont présentées sous formes de dytiques, triptyques et pièces uniques, à divers formats et prix.

Sur une invitation de l’équipe MIRA, la critique d’art et conférencière, Eva Prouteau, rencontre les deux artistes pendant la résidence à Rennes. Elle écrit un texte sur l’exposition, qui est présenté sous forme d’une édition hybride.

En cette fin de résidence, Loïc et Jérôme expriment leur envie de continuer à explorer et expérimenter ensemble.

A partir d’un terrain vague, situé sous le pont de Cheviré à Nantes, les deux artistes posent un autre regard sur les espaces urbains intermédiaires.

Une visite du monumental silos à grains du bas Chantenay offre aux artistes une vue imprenable sur le secteur et les plonge au coeur du patrimoine industriel local.

Les deux interprètes trouvent un langage artistique commun, et se rendent à Rennes pour la deuxième partie de la résidence.
Le « néo duo »  choisit de produire les multiples à l’atelier rennais de sérigraphie Le marché noir, où travaille habituellement Loïc.

Sur une invitation de l’équipe MIRA, la critique d’art et conférencière, Eva Prouteau, rencontre Loïc et Jérôme pendant la résidence à Rennes. Elle écrit un texte sur l’exposition et les artistes, qui est présenté sous forme d’une édition hybride.

REPAIRE

Intitulée Repaire, l’exposition pourrait se fantasmer comme un abri, une cachette, un refuge mais aussi, potentiellement, être un lieu de rencontre pour des individus peu recommandables, à la marge, louches. Ce Repaire, Jeronimo (Jérôme Maillet) et Macula Nigra (Loïc Creff) l’imaginent dans cette double acception, à la fois salutaire et troublante, et le représentent comme un univers ouvert et stratifié, dans des sérigraphies et cyanotypes1 réalisés à quatre mains.
Travaillant pour la première fois en duo, les artistes ont élaboré des formes fictionnelles d’écriture de l’architecture et du paysage de friche.  Un terrain vague du Bas Chantenay a constitué leur lieu commun pour concevoir ensemble cette exposition à Mira. Ce territoire est devenu leur surface de projection, où tout pouvait se déployer, comme sur ces panneaux qui viennent se planter en limite de terrain à urbaniser et qui proclament en lettres géantes : ICI BIENTÔT.
En plein milieu de cet espace chantenaysien bien réel, une pile du pont de Cheviré s’élève, proche du monolithe noir apparu dans 2001, l’Odyssée de l’espace. Effectivement, alentour de ce terrain vague, le paysage déroule une véritable odyssée : le fleuve, la voie ferrée, le pont monumental et les silos, monstres de béton qui rythment l’horizon.

RÉPERTOIRE

Après une phase d’appropriation de ce territoire, la sédimentation a fait son œuvre : de ce paysage à la fois sauvage et industriel, les artistes ont conservé les grandes silhouettes bâties, leur présence sérielle et répétitive, mais ils ont également cerné la facette plus intimiste de ce terrain vague, un lieu où on peut se sentir bien, allumer un feu, faire un barbecue. Macula Nigra et Jeronimo ont aussi recherché des images d’archive afférentes à l’histoire du site : ils ont sélectionné des photographies des années 30, une usine à eau transparente comme le Crystal Palace2, et se sont inspirés d’une incroyable histoire d’explosion. En 1987, l’épisode marque les esprits : un entrepôt prend feu, un gigantesque nuage toxique se forme, les communications téléphoniques sont coupées, un plan ORSEC est déclenché, et toutes les communes avoisinantes évacuées, sauf celle de la Roche-Maurice, petit village de pêcheur oublié, celui-là même qui s’épanouit désormais à l’ombre du Pont de Cheviré. Dans les sérigraphies et cyanotypes du duo, les nuages de fumées reviennent comme un leitmotiv. Un principe éthéré et gazeux semble régir ces mondes.

ASSEMBLAGE

D’autres formes se répètent, constituant alors un répertoire modulable : silos, terrils et tas, pont monumental, routes, voies ferrées, piliers de soutènement en béton qui courent le long des berges de la Loire, drapeaux-repères, échelles de relevés topographiques ou marques de franc-bord3, des éléments graphiques qui viennent ponctuer le paysage, et faire écho de manière discrète à une pratique de fouille.
À partir de cet inventaire formel, les artistes ont composé des paysages à la fois réalistes, nostalgiques et futuristes. Leur processus de travail relève de l’assemblage : ils étagent en plans successifs les différents éléments en présence, sans chercher à les fusionner, ce qui leur confèrent une dimension onirique et flottante. Introduisant une énergie organique et sauvage, la végétation proliférante côtoie la géométrie du bâti, servant souvent de liant dans les compositions. Autre point d’importance : Jeronimo et  Macula Nigra usent volontiers de contreformes, nées des rebuts de découpe des typons4. Disposées en négatif, elles matérialisent un paysage par omission, en défonce, empli de vides revendiqués.

CORPS INCONGRUS

Malgré leur nature composite et parfois saturée de détails, les compositions de Jeronimo et Macula Nigra demeurent des espaces à penser, sans scénario verrouillé, plein de respirations énigmatiques et de zones d’ombre. Mettant en exergue l’architecture industrielle, elles la déréalisent dans un même mouvement. Enfin, elles n’omettent ni la nature ni la présence humaine. Ces paysages sont ainsi traversés de corps aux postures étranges, incongrues. La figure du pionnier revient, au diapason du mythe du terrain vierge : des hommes excavent, creusent, balaient. Ils n’ont pas de pied, peu de visage. Autour d’un feu presque absent, leurs corps se resserrent maladroitement. Une autre scène, discrète mise en abyme, nous montre Andy Warhol et son assistant, en plein travail de sérigraphie.
Malgré leurs activités volontaristes, tous ces corps semblent peu ancrés, comme soumis à une poésie de l’errance.

INCARNER L’IMAGE

Cette collaboration inédite s’incarne dans une variété de techniques et de supports. Les deux artistes, qui ne cessent de mêler l’imaginaire au réel, déploient leurs visions à travers des documents respectifs de recherche graphique, présentés dans l’exposition. Pour leurs réalisations à quatre mains, ils ont privilégié les formats amples, articulés en diptyque ou triptyque, une manière de densifier les circulations et les résonances entre leurs deux univers. Enfin, ils expérimentent la richesse chromatique du cyanotype et de la feuille d’or, ou choisissent de décoller l’image sérigraphiée du mur, en l’imprimant sur caisson de peuplier. Ces diverses matérialisations témoignent de leur attention constante à des savoir-faire concis, que leur rencontre a vivifiée.

Éva Prouteau

Notes

1 – Le cyanotype est un procédé photographique monochrome négatif ancien, par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu de Prusse, bleu cyan. Cette technique a été mise au point en 1842 par le scientifique et astronome anglais John Frederick William Herschel.

2 – Le Crystal Palace était un vaste palais d’exposition en fonte et verre d’abord édifié à Hyde Park pour abriter la Great Exhibition de 1851, la première des expositions universelles. Sa technique de construction en éléments standardisés préfigure celle de la préfabrication en architecture. Il est l’œuvre du paysagiste Joseph Paxton.

3 – Dans la marine, le franc-bord d’un navire est la distance verticale entre la ligne de flottaison et le pont principal. Les signes de franc-bord indiquent la ligne de charge, ils ressemblent à des hiéroglyphes et fascinent Macula Nigra depuis longtemps.

4 – Le typon est un masque, composé d’une feuille transparente, sur laquelle est imprimé un motif, dans une encre opaque.

Jérôme Maillet
Loïc Creff

Jérôme Maillet
S’il dessine depuis toujours, le travail de Jérôme Maillet reste marqué par son parcours d’architecte.
Né en 1979, il se forme à l’ENSAAMA / Olivier de Serres à Paris et complète son cursus à l’Ecole d’Architecture de Nantes, où il vit depuis.
Dans ce qu’il observe, Jérôme cherche à extraire l’élément qui sera porteur d’universel pour se créer de nouveaux cadres de perception.
Le rapport de l’homme à son territoire est une composante récurrente dans les images qu’il produit. Il explore ainsi nos imaginaires collectifs et nos manières de nous projeter dans un espace pour composer de nouveaux récits.
En atelier ou en dehors, son travail s’articule autour du dessin et de ses champs d’expérimentation. Dessin unique, multiple, échelles et matériaux varient selon le contexte d’intervention. Cette liberté́ donne l’occasion d’inventer de nombreuses.
Macula Nigra
Le projet Macula Nigra est né de la maculée conception, déviance sérigraphique qui puise sa matière dans l’image imprimée. Il s’agit ici d’un travail de collage et d’association iconoclaste, qui traite à la fois d’utopie et dystopie, de la posture contrainte de l’homme dans son environnement et de notre rapport ambigüe aux images. En exhumant des visuels désuets, extraits d’obscures parutions encyclopédiques oubliées, d’archives ou de trouvailles par sérendipité, Macula Nigra se joue de ces sources iconographiques pour leur donner un nouveau souffle. L’usage premier du medium imprimé (la copie à l’identique & en série) disparait ici au profit d’images uniques et multiples.
Né en 1982, Loïc Creff est diplômé des Beaux-Arts de Rennes en 2007. Il vit et travaille à Rennes, notamment au sein de l’atelier de sérigraphie la presse Purée et du collectif Le Marché Noir